Marie-Clémentine Valadon fut l’archétype de la grisette montmartroise. Belle, d’humeur enjouée, elle avait soif de vivre et rêvait de réussite pour échapper à l’atavisme familial. Elle réussit à s’imposer dans le milieu de la peinture. C’était l’époque où l’irruption de l’impressionnisme agitait critiques et salons…
Avide de sécurité matérielle, elle se rapprocha de Puvis de Chavannes : elle devint son modèle, il devint son amant. Clémentine Valadon, Suzanne pour les intimes, c’est la Nana de Zola que l’on convoite pour son charme et sa beauté. Rien d’anormal ni d’immoral dans ce milieu marginal qui laissait aux philistins le soin de codifier l’hypocrisie sociale !Dans l’acte de naissance de son fils, elle se dit “couturière”. On peut supposer qu’elle passait plus de temps à tisser ou à dénouer les aventures sentimentales qu’à tirer l’aiguille ou tenir le fer.Avant de devenir le modèle (et la maîtresse) de Puvis de Chavannes, elle avait déjà fait la rencontre de Miguel Utrillo y Morlius puisqu’au bas d’un portrait à la mine de plomb qu’il réalisa d’elle, on pouvait lire “Souvenir de la Guerre de sept ans !” Une dédicace éloquente en guise d’épitaphe !
Lassé de leurs amours tumultueuses, l’amant blessé retourna en Espagne. Quand il fut de retour à Paris, en 1891, il reconnut Maurice Valadon comme son fils en demandant pour lui la nationalité française. Puis celui qui fit découvrir Montmartre et Paris à Pablo Picasso disparut, définitivement cette fois.
A fréquenter les peintres, Clémentine, devenue Suzanne Valadon, se découvrit du talent. En plus de poser pour Toulouse Lautrec et Renoir, elle produisit une série de très beaux dessins prenant pour modèles son fils ou la fille de sa concierge. La bonne fortune aidant (qu’elle entretint par un soin consommé des relations professionnelles), Suzanne se lança avec frénésie dans le monde des arts. On la surnommera même la terrible Maria !
Grâce au sculpteur Bartholomé, elle fit ensuite la connaissance de Degas et le maître découvrit ses dessins avec enthousiasme : Ma fille, c’est fait. Vous êtes des nôtres!”, se serait-il
écrié. Tout s’enchaîna alors très vite. Suzanne peignit ses premières huiles dont le célèbre portrait d’Erik Satie, avec qui elle eut une courte liaison.Et puis, en 1895, ce fut la consécration : elle était admise à exposer à La Nationale…
Texte de Jean-Pierre Valeix, 1992.